Chapitre 6

L’allemand au crâne rasé tapa du poing sur la table. Il fulminait. Les derniers rapports étaient alarmants, les américains avaient réussi à semer la confusion sur les côtes, et ils marchaient à présent en territoire allemand. Comment lui, général de l’armée allemande, allait annoncer au Führer qu’ils étaient en train de perdre la guerre ?
« - Nous avions tout, bandes d’incapables ! Nous aurions pu tous les tuer sur cette plage, et ils ont trouvé le moyen de perdre nos positions !
- L’attaque était totalement inattendue, mon général… Et ils étaient beaucoup.
- Et nous, alors ? Des centaines de milliers de munitions, des mitrailleuses postées à chaque bunker, des obus et j’en passe ! Désormais, on va devoir recommencer la guerre, comme si nous n’avions rien ! Les américains sont en territoires alliés, et nous, on va devoir reconquérir notre Espace Vital ! »
Le général se jeta dans son fauteuil. Non, ce n’était définitivement pas un bon jour pour lui.

* * *

La section de Daniel s’était installée dans un village non loin des côtes. Il était pratiquement désert, et quasiment totalement en ruine. Les tentes avaient été montées, et l’organisation avait vite pris le dessus sur la précipitation. Les gradés discutèrent entre eux, se congratulant chacun de leurs exploits militaires d’un rire gras. Puis, l’un d’eux aperçut Dan.
« -Hey, Jay… Viens par ici. »
Il hésita un instant, et se décida à venir les saluer, après avoir vu son sourire franc et sa main tendue. Il lui fit un clin d’œil en tirant une cigarette de son étui, et en lui en proposa une. Dan refusa d’un geste de la main alors que le gradé alluma son tube de tabac.
« - C’est Jay Lowert, un bleu. Il fait partie des gars qui ont pris le Bunker en premier. »
Les sourires et applaudissements allèrent bon train, et les sifflements suivirent. Le gradé qui vous a appelé se tourna à nouveau vers Dan. Il le reconnaissait à présent, c’était votre supérieur, qui vous a insulté au camp, en Angleterre.
« - Je me suis trompé sur votre compte, Lowert. Vous êtes un bon gars, c’est vrai. Je me débrouillerais pour faire en sorte que vos faits d’armes ne soient pas oubliés.
- Merci, trop d’honneur. »
Il tapa l’épaule de Dan amicalement, sincère. Dan eut un pincement au cœur, et une larme tenta de couler sur son visage. Désormais, la bataille était terminée, et il fallait de nouveau laisser place à l’humain et aux sentiments. Il fallait honorer les morts, et choyer les survivants. Il restait encore du chemin jusqu’à la victoire totale et la capitulation ennemie. Alors que Daniel tourna les talons pour retourner à sa tente, le gradé l’interpella une dernière fois.
« - Tu cachais bien ton jeu, Jay ! Haha ! »

Après l’émotion, Daniel prit peur. Et si tout cela allait altérer le futur, si ce Jay Lowert allait avoir ses propres rubriques dans les manuels d’histoires et s’il changer le destin de cette personne, qui était peut-être censé mourir ? D’ailleurs, étais-ce le fait de mourir qui allait-le faire revenir à son époque ? Non, il en doutait… Dans tous ses voyages dans le temps, il lui suffisait de terminer sa mission pour retourner chez lui… Mais pour ce voyage, sa mission était floue, puisqu’il ne s’en était pas fixé. Il avait mené à bien le débarquement, tout ce qui pourrait se passer ensuite serait la libération des places fortes en France et en Europe…

A moins que ce voyage est sans retour. Son accident de voiture, en 2008 lui a été fatal, et il est toujours dans le coma, à attendre en salle de réanimation, alors que son esprit, de son côté, a survécu grâce à ce pouvoir, se mettant dans une époque antérieure à la sienne pour continuer à vivre. Non, il ne pouvait pas croire cela… Il était bien vivant ! Et puis, le temps ne s’écoulait pas dans la réalité quand il était dans le passé, il allait revenir à la même seconde ou il l’avait quitté, dans sa voiture, en sang, en pleine nuit… Il le savait bien pour avoir pratiqué l’Effet Papillon des milliers de fois.

Alors il allait devoir combattre jusqu’à la fin.

Le soir-même du débarquement, les gradés rassemblèrent tout le monde pour un débriefing complet de la mission, qui a été un succès total malgré les centaines de milliers de morts. Puis, ils firent le briefing de la prochaine mission.
« - Les autres corps d’infanteries américains et d’autres nationalités ont également bien avancé. A l’heure où je vous parle, nous avons libéré une grande partie des côtes du Nord, jusqu’en Bretagne, et nous possédons même plusieurs places fortes, tel que Cherbourg. Il nous reste beaucoup de boulot, et beaucoup de boches à massacrer mais je peux vous assurer une chose… Le pire est derrière nous. La prochaine mission sera… »

Dan vacilla. Sa vision se troubla, son corps s’engourdit, ses oreilles se bouchèrent… Il s’effondra au milieu de l’assemblée, et il vit une salle blanche. Il était dans cette salle, tandis qu’une femme lui parlait. Sa vision revint, ses oreilles se débouchèrent, et il put admirer l’infirmière qui lui faisait face.

« - Jay ? Ça va, Jay ? Il revient à lui, enfin ! »
Jay… Encore, Jay ? Dire que Dan pensait que ce malaise était la fin de son « voyage dans le temps ». Il n’avait pas encore fini sa mission. Il allait devoir se battre, assurément. Il se releva en s’appuyant sur ses coudes.
« - Que s’est-il passé ? Ou se passe la prochaine mission ?
- Du calme, vous vous êtes évanouis… Trop d’efforts, probablement, et pas assez de repos. Vous ne combattrez pas à la prochaine, ne vous inquiétez pas, fit-elle d’une voix douce. »

Il se laissa à nouveau tomber sur son oreiller, et sombra dans un sommeil profond.